Tariq Krim est un entrepreneur, fondateur de Netvibes, service au succès mondial, il est désormais engagé dans le slow web avec dissident.ai. Je connais Tariq depuis des années et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a toujours été en avance sur son temps. Avec Tariq, j’essaie de comprendre ce qu’est le slow web ou en tous cas à quoi pourrait ressembler un web plus éthique.
J’imagine que c’est une conversation que vous avez régulièrement dans ces diners pendant lesquels on refait le monde. Cet épisode, c’est un peu ma version de cette conversation avec un Tariq passionnant.
Le slow web, en quelques mots
Quand vous entendez « Slow web » vous pensez sans doute à « déconnexion » mais ce n’est pas du tout le sujet. Comme le rappelle Tariq, la tendance « slow food » s’est construite en opposition au fast food mais il n’a jamais été question de manger un mauvais hamburger plus lentement. Cette idée doit même vous faire sourire à l’instant ou vous la lisez. Le slow food, c’est choisir des bons ingrédients bio, c’est prendre le temps de cuisiner, d’inviter des amis etc… De la même manière pour Internet, l’idée n’est pas de ralentir l’usage d’un web « malade » mais d’envisager le web différemment.
L’oligarchie numérique des GAFA a imposé un modèle dans lequel le consommateur n’est plus du tout au centre, sinon comme un produit dont les marques consomment les données. Par ailleurs, quelque part les réseaux sociaux ont créé une réalité sociale alternative qui pose un vrai problème de santé publique car dans un monde à la réalité déformée, votre vie à toujours l’air insuffisante. Comme le souligne Tariq, nous sommes pressurisés en permanence car nous avons toujours l’impression de passer à coté de quelque chose. Il ne s’y trompe pas quand il évoque l’augmentation du nombre de suicide chez les plus jeunes. Les taux n’ont jamais été aussi élevés.
Pour Tariq, il faut donc se poser la question de la possibilité d’un autre modèle.
Autopsie d’un malaise sociétale
La question reste de savoir si cela est nécessaire de remettre en cause le modèle…n’est-ce pas jouer le jeu du marketing de la peur que de brandir à tout va l’intelligence artificielle et les algorithmes?
Selon Tariq, c’est essentiel car nous avons perdu le contrôle de notre vie numérique. comme il le rappelle, avant l’iPhone, nous possédions l’ensemble de nos données: nos fichiers, nos musiques, nos films et surtout nos préférences et nos relations mais avec le cloud, nous avons donné à d’autres la possibilité de gérer notre espace privé. Aujourd’hui, nous n’avons plus vraiment la maîtrise sur la manière dont nous souhaitons interagir avec le monde.
Si auparavant, je pouvais choisir les flux d’informations que j’allais lire, aujourd’hui tout ce que l’on voit a été sélectionné par un tiers sans que je puisse m’en rendre compte et cela peut être utilisé par la publicité: montrer une histoire triste d’un(e) ami(e) pour vous vendre des vacances à travers une pub par exemple car on sait que vous y serez alors plus sensible. Les réseaux sociaux et leurs algorithmes peuvent définir comment vous allez vous sentir car ils vous connaissent mieux que vous même.
Tariq l’affirme: un algorithme n’est jamais neutre. Les machines ne devraient pas pouvoir contrôler nos vies, l’humain devrait rester au centre et les machines devraient être là pour nous servir. A grande échelle cela pose d’ailleurs des problèmes politiques car aujourd’hui on est presque capable de servir un message différent pour chaque personne en fonction de ses attentes et cette personne ne sera pas en mesure de le réaliser. D’ailleurs, à une moindre échelle, c’est déjà le cas sur Google, les résultats de recherche différent d’une personne à l’autre en fonction d’une multitude de critères. C’est la fameuse « filter bubble » décrier par Eli Pariser. On dessine donc assez bien la limite du système Il s’agit donc de faire un retour aux sources de ce qu’était la vision originale du web avec des communautés bienveillantes, de mettre l’humain au centre, de faire en sorte de limiter les notifications, de ne pas faire de « branding » etc…
Le slow web: vers quel modèle?
Selon Tariq, il y a une place à prendre entre le modèle à l’américaine ou tout est monétisé et le modèle à la chinoise dans lequel tout est contrôlé. Il faut réinventer de nouveaux modèles et de trouver les moyens à d’autres modèles d’exister. Se repose un certain nombre de questions par exemple: « Pourquoi vouloir à tous prix être une licorne? » Peut être que proposer une offre à une cible plus petite mais qui a besoin du service proposé, fait plus de sens car vouloir à tout prix proposer un modèle unique du web n’est pas très sain. Il n’existe pas de réponses simples évidemment car l’écosystème est construit de telle manière que pour exister il faut utiliser les mêmes techniques qu’on essaie de combattre. Cela implique que pour exister il faut être largement utilisé.
Toutefois, selon Tariq, il y a au moins 3 débuts de réponse:
– Revenir à des standards ouverts voire forcer l’ouverture des plateformes. – Créer une interopérabilité des données d’un service à l’autre (beaucoup plus que ce que le GRDP permet aujourd’hui) – Respecter la vie privée, le cerveau de l’utilisateur
Un avis de votre coté?
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